Je ne vois pas mais j’ écris et je visite des expositions


Bandung, exposition a Chateauform Monceau, Galerie Frederique Roulette

Exposition a Chateauform

ma soeur

Ma compagne

 Opera Galerie Paris Art informel l’image 1950

1970.

Nicolas de Staël

Au Musée d’art Moderne de Paris

Après une visite – Nicolas de Staël au Musée d’Art moderne de Paris, octobre 2023
Bleu
Une grande toile devant moi où vibre le bleu
Au centre, une forme, une masse, serait-ce un vase, un énorme vase tenant, comme retenant le
ciel tout entier? Nous, les petits, face au Néant, non, non, face au bleu, aux milliers de bleus, aux
milliers de nuances de bleu comme autant de ciels du Nord, de ses premiers temps de voyage
peut-être;
Je suis assis sur un petit banc, mon amie pense que je dois me reposer de ce bleu, devant ce
bleu, que je pourrai aussi me prosterner soudain, mais non, nous sommes au musée et le gentil
groupe d’aveugles qui m’accompagnent, de mal voyants un peu brinquebalant, oui, ils ne
comprendraient pas que je me mette à genou, surtout moi, moi qui ne vois pas non plus, un fou, ils
penseraient que je suis devenu fou, que notre charmante guide qui semble nous parler à l’oreille,
nous sommes équipés de ces appareils presque invisibles qui lui permettent de ne pas crier dans
les grandes salles tout en nous commentant les divers tableaux du Maître Nicolas de Staël, oui, ils
penseraient, ces autres de moi que j’abuse, que je fais mon fanfaron, qu’elle aurait dû me retenir,
qu’allait-on penser de nous, les déjà exclus du regard si, en plus, on se prosternait devant Dieu?
Car c’était bien Dieu qui vibrait devant moi, devant nous tous, non le peintre en vision romantique,
mais l’espace de sa création, le ciel s’ouvrait et il apparaissait, entier, impalpable et difforme, un
éther devenu sensible et mou, puis rigide, transparent puis opaque, un bleu puis appuyé au milieu
d’autres, entier et plein, révoltant et pourtant si magnanime, presque absent, un bleu de partout et
de nulle part que le géant, ce grand Russe de Nicolas avait rapporté de je ne sais où et étalé sur la
toile. Certes, il y avait eu des précédents, des couches et des couches, jusqu’à deux cents kilos de
peinture sur une même oeuvre, des tâches, des formes rectangulaires ou oblongues, des formes
enchevêtrées comme pour démasquer la difficulté du monde, de ces choses que sont les arbres et
les rochers dans un paysage, on n’a pas idée comme tout est mêlé et pourtant fondu devant le
regard. Un soir, un grand stade, le Parc des Princes, immense et noir, plongé dans l’obscurité du
match de foot sauf la pelouse verte et ces joueurs, une myriade de joueurs rouge et blanc, une
myriade d’enchevêtrements, un paysage total d’hommes sur une pelouse, dans une pelouse verte
et le spectacle peut commencer, je ne sais pas jouer, je sais jouer, peu importe, je suis là, au
milieu des rouges et des blancs, moi qui vit dans le noir des spectateurs. Sinon de grands gris, des
verts d’eau, une lente progression vers la lumière, tout est parti de là: le monde a une histoire; le
grand Hubert Reeves qui s’est éteint nous le rappelait, c’est à ce moment-là, dans les années
cinquante, que l’on a su, tout avait un jour commencé, et lui, l’homme qui voyait plus loin déjà, le
géant, il s’en doutait qui, à force de gratter le noir fusain, découvrait peu à peu la lumière. Sans
doute, au tout début, ne pouvaient vivre que des aveugles et cette idée me plut, il faisait très noir,
un noir total; j’errai là, bien avant vous, avec mon fidèle chien Prem’s, au milieu des mondes
plongés dans l’obscurité. Ce n’est que grâce à des artistes que tout s’est ouvert, oh juste
entr’ouvert au début, on le voit bien sur les premiers dessins de Nicolas de Staël: de petits formats
presque noir striés, comme balafrés de lignes blanches, ce sera nous plus tard, les étoiles et les
constellations, une lumière qui se cherche.
A la fin de la série, une plus grande surface également noire et comme vibrante elle aussi, vibrante
non de bleu du ciel mais de fins rayons, les premiers rayons de vie, je souris, c’est nous, on ne sait
pourquoi mais c’est nous qu’on annonce là-bas, dans la blancheur souterraine; les autres? Des
gris, des milliers de nuances de gris au temps où le magma se composait et se recomposait, des
plaques comme tectoniques qui s’emboîtent et se chevauchent, des expériences de monde en
mouvement, une mouvance généralisée qui s’oriente et se désoriente, dans quel sens? Ma guide
ne le sait pas, elle décrit merveilleusement mais ne sait pas, c’est ainsi, nous dit-elle, vous
saisissez? Bien sûr, qui aurait pu mieux voir ce moment-là que Nicolas? Aujourd’hui, il faisait frais
soudainement mais pas autant que là-bas, aux temps lointains de notre début, bientôt la lumière
nous dit-elle, Nicolas de Staël est un peintre de la lumière, de la vie avant tout, puis de la couleur;
fonds et formes, formes primaires qui se colorent, les voyages dans le sud, au Maroc, les amours
qui fustigent et rendent heureux, les amours qui détrônent les certitudes et renversent les
tendances, le monde en est plein, il ne bouge que pour cela, pour rencontrer les forces de nos
amours; en famille, ils partent ensuite, toujours plus loin, et traversent l’Italie, lui le nordique de
Russie, il s’imprègne de tout, il est éponge qui rendra le bleu clair, le ciel violet, la mer rougie,
presque noire, la lumière devient trop forte, le temps serait-il arrivé à son terme? De nouveaux des

paysages, au milieu de la contrainte du modernisme l’artiste sent le besoin de fixer son regard, de
marquer le ciel et la Terre, ils cherche les bonnes couleurs, les yeux comme aveuglés par trop de
lumière, il repart au sud, il aime, il dépérit, il ne sait plus où se mettre, où se trouver, trop de tout,
de commandes, de couleurs, de toiles qui sèchent l’une après l’autre posées contre le mur, trop de
surfaces à étendre pour rendre compte du Tout, du Grand Tout, le monde semble l’absorber. Dans
les salles, on monte et descend quelques marches, on le voit lui, grand et fixe dans son atelier, les
bras repliés qui regarde, il regarde quoi? Il est là, juste au milieu de la photographie, n noir et
blanc, le début et la fin. Un dernier soir il remonte à Paris, Boulez dirige au Domaine Musical, un
concert qui écoute les nouveaux bruits, qui inspire le futur des temps à venir, un concert pour
respirer l’avenir, cette exploration hasardeuse qui le travaille aussi; il revient à sa maison d’Antibes
et monte sur le toit: J’aspire au ciel, amours, j’aspire au ciel et à la terre, j’aspire au monde semble-
t-il nous crier; il est beau mais fatigué, comme épuisé de tant de visions, de ces milliers de touches
de couleurs qu’il voulait nous rendre comme pour nous montrer, comme pour extirper de lui ce
mystère de la peinture, l’homme-ouvrier, l’homme-atelier, l’homme des petites et des grandes
masse, des surfaces composées comme autant de possibilités de voir et de montrer, nous
montrer; c’est vers la Terre qu’il se plonge, vers sa remise éternelle, comme mêlé enfin à tous ces
éléments divins qu’il supposait, qu’il enviait aux dieux, qu’il portait à notre vue sur les marges d’une
grande toile, j’avance encore, j’avance encore.
La visite se termine, notre guide est au bout de ses paroles, comment faire éprouver l’impossible
condition d’un regard si lumineux, si particulier? Nous la remercions chaleureusement, mon chien
Prem’s sent le déjeuner approcher, je serre mon amie telle une bouée qui me tire de cet Océan de
couleurs, j’ai tout vu, je n’ai rien vu, j’ai vibré du long de mon corps à l’approche du vide et du plein,
du creux et du vague, du noir et des couleurs qui émergeaient, yeux, derrière mes yeux, quelque
part dans l’au-delà.

Art Basel Grand Palais Ephémere

Picasso

Liaigre Designer

Les Deux Magots