Je promène mon maître, journal de Prem’s


1.


Je suis chien et je parle chien, mais j’use aussi de votre langage.

Je vis seul avec mon maître, je crois qu’il est un peu bizarre, il ne me voit pas.

J’ai maintenant presque quatre ans, je suis jeune homme, enfin c’est ce que l’on dit parmi vous puisque chacune de mes années compte pour sept, j’approche doucement de la trentaine.

Quand on me voit courir, on croit que je suis encore un gosse, je saute les barrière du parc Monceau et je remue la queue de contentement.

Nous, les chiens, il nous en faut peu pour être heureux, des copains chiens, une
pelouse où galoper et des croquettes, beaucoup de croquettes.

Ah, c’est vrai, je ne vous l’ai pas encore précisé, mais ça se voit sur ma photo, je suis un Labrador de bonne taille; en fait, je suis très grand, anormalement haut sur pattes et c’est pourquoi on m’a confié la garde d’un grand mec, un grand dadais de maître qui fait de longues enjambées.

Je suis aussi d’une couleur particulière, un brun roux, une couleur de fauve qui me plaît bien et attire l’attention, j’adore attirer l’attention et les caresses!

Sinon, tout va pour le mieux, je me porte bien, jamais malade enfin si, quand j’avale trop de trucs suspects qui traînent dans le parc, c’est ma faiblesse et ceux de ma race, on est terriblement gourmand!

Demain, je vous raconterai ma vie de tous les jours et mes « impressions », c’est ce que l’on m’a demandé, mes impressions de chien sur le monde; pour
vous dire la vérité et parler franc, ça me fait bien… chien, enfin je ne veux pas être grossier, nous on est poli et bien éduqué; deux ans, je vous raconterai tout.

Aujourd’hui, c’est le premier jour, mon jour de chien, je vous dis bonjour et vais me promener, si vous croyez que je vais manquer ça, les petites friandises de Dame Jacky!

2.

   

         Aujourd’hui il fait chaud, et même très chaud; nous, les copains chiens, quand il fait chaud comme ça, on aime bien se reposer.

Le matin, quand mon maître se lève assez tôt, c’est toujours agréable d’aller se promener au parc, la nature respire, la fraîcheur des arbres se fait encore sentir et j’adore balader ma truffe rose dans les herbes.

Je sais, ça énerve un peu mon maître, il est patient pourtant, le plus patient des maîtres, mais quand même, il me rappelle à l’ordre: « Prem’s, ça suffit maintenant, on avance! ».

Alors, un brin déçu de n’avoir pas eu le temps de reconnaître tous mes amis passés par là, je reprends la route jusqu’au prochain arrêt.

Vous vous dites, à ce rythme-là, ils ne doivent pas avancer très vite!

C’est vrai, mais c’est aussi mon quart d’heure de plaisir, en fait une bonne heure.

Souvent, on rencontre des têtes connues, des dames aux  petits gâteaux, je vous en ai déjà parlé; mon maître, c’est une vrai pipelette, il parle à tout le monde et comme il y a souvent des dames, au parc, ça n’en finit pas!

Dégouté, je m’allonge par terre.

Moi, je préfère les grands chiens, mâle ou femelle, peu importe, les petits aussi parfois, ils sont rigolos quand ils tournent autour de moi et qu’on se renifle!

La matinée passe ainsi, on fait un grand tour et puis, souvent lorsque le soleil pointe, on s’assoit sur un banc.

C’est incroyable pour les autres mais, moi aussi, comme je suis très grand, je m’assois à côté de mon maître en repliant mes pattes de derrière, et nous restons là de longues minutes à méditer.

Enfin mon maître dit qu’il médite, moi je regarde les gens qui passent et cela me distrait.

Parfois, des enfant s’arrêtent et demandent à mon maître s’ils peuvent me caresser la tête, vous pensez comme cela me fait plaisir, ils sont si doux les enfants!

Mon maître dit toujours oui, je crois que cela l’arrange comme ça il est tranquille; souvent, j’ai l’impression qu’il oublie même qu’il a un chien; c’est juste en repartant, comme il ne voit rien le pauvre, qu’il se souvient que j’existe et qu’il prend la poignée du harnais: « Allez, Prem’s, on rentre à la maison! ».

C’est le moment le plus déchirant de la matinée, pour moi, et je fais tout pour l’en dissuader.

Pour m’amadouer, car il sait que je peux freiner des quatre fers, il sort une croquette magique de sa poche et j’avance alors, j’adore les récompenses.

Dix mètre plus loin, je m’arrête à nouveau pour une nouvelle croquette, parfois ça marche, parfois il s’énerve, parfois encore une dame a pitié de lui et lui prend le bras, comme s’il ne pouvait pas trouver le chemin tout seul!

Il parle un peu, raconte son histoire de glaucome qui a mal tourné, mon arrivée dans sa vie et puis il remercie; « Vous êtes sûr, Monsieur, vous êtes sûr que ça va aller? ».

Il fait oui de la tête et nous repartons, en avant vers la grille, la poisse, j’ai jamais envie de partir, c’est trop bon le parc!

On s’arrête au feu, je m’assois et, si je suis sage, j’obtiens une nouvelle récompense.

Je l’aide à traverser dans les clous, enfin sur les bandes blanches et à trouver le trottoir d’en face, c’est lui qui me donne le signal de départ.

Ensuite, je connais le chemin par coeur et j’avance »d’un pas de sénateur », moi je crois que c’est un pas de lionne, de grand fauve comme ma robe; j’suis pas pressé en fait, pas pressé du tout de rentrer!

3

Hier, grand changement!

Au lieu de notre sempiternel voyage, enfin notre petite promenade au parc que je chéris tant, mon parc à moi, nous avons tourné à droite en sortant.

Je me suis dit, bizarre, il a encore une idée dans la tête mon maître, qu’est-ce qui lui prend?

Je ne suis pas difficile pourtant, je tourne vers lui ma grosse tête de Labrador, car dans le couple je crois que c’est moi qui réfléchis le plus, et je l’interroge du regard: « Ça va bien? ».

Pour toute réponse, j’ai droit à un « Prem’s, à droite! »

Et un petit mouvement de la laisse dans ce sens, histoire que je comprenne mieux, comme si je n’arrivais plus à distinguer ma gauche de ma droite, mais j’ai été éduqué, moi, et par les meilleurs, pour qui il se prend!

J’obtempère et ne bronche pas, il y a sûrement de bonnes odeurs de ce côté-ci de la rue.

Souvent, c’est le chemin du soir, une petite ronde autour de deux pâtés de maisons, d’immeubles plutôt puisque nous sommes à Paris, mais il fait jour; j’en conclus qu’il doit y avoir du particulier aujourd’hui, du vraiment particulier, quelle mouche l’a piqué?

Au croisement de la rue de Naples, nouveau changement: au lieu de tourner à droite, on continue, serait-ce que nous allons vers la gare, la gare Saint-Lazare?

Pourtant, je ne le sens pas nerveux comme lors des grands départs, et puis il n’a pas son sac à dos.

On descend.

Je vois des travaux devant et je biaise un peu pour les éviter, mon maître qui ne voit pas s’arrête: « Eh bien, Prem’s, qu’est-ce que tu fais? ».

Enfin, un ouvrier lui prend le bras et lui fais descendre le trottoir pour traverser, c’est vrai, on ne pouvait pas passer!

J’ai lu dans les journaux-chiens, si, si, nous avons nos journaux et notre tam-tam, enfin on parle entre nous, j’ai lu qu’il y aurait bientôt de grands Jeux à paris, et donc beaucoup de monde.

Les propriétaires de chiens ont déjà peur et puis cela fait des travaux partout, on ne peut plus marcher!

Même nous, les chiens-guide, quel boulot!

Mon maître le sait bien qui ne s’énerve jamais; comme je suis bien dressé, je reprends le bon trottoir et l’on continue, je ne dois pas le perturber sinon il ne sait plus où il est et il s’arrête.

Avec le temps, je trouve qu’il fait des progrès, au début qu’est-ce qu’on se perdait!

Je ne vous l’ai pas dit, mais j’aime bien m’amuser, c’est notre penchant naturel à nous, les chiens et les chats de compagnie, sinon la journée est longue.

Vous, les gens à deux pattes, qu’est-ce que vous êtes sérieux, toujours le nez plongé sur ce petit machin qui fait du bruit!

Alors, quand il n’était pas encore très sûr de lui, mon maître, je l’emmenais goûter les odeurs, surtout celles de la boucherie-charcuterie du trottoir d’en-face.

Ça le mettait en boule, la voix du jeune apprenti, qui s’adressait à lui: « Ici, vous êtes à la boucherie, je peux vous servir Monsieur? »; il souriait, il souriait jaune, en fait, je le voyais puis s’excusait; après quelques mètres, il me reprenait: « Mais Prem’s, qu’est-ce que tu fais, on rentre à la maison, maison! Maison! ».

Comme si je ne le savais pas, qu’on rentrait à a maison, il n’a vraiment pas le sens de l’humour!

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Je me demande d’ailleurs depuis ce jour-là, si, si, je suis sérieux, pourquoi ce ne sont pas nous, les chiens-guide, qui choisissons notre maître plutôt que l’inverse?

Mais je suis injuste, on se choisit mutuellement lors de la visite, je vous raconterai, c’est un moment unique que de découvrir avec qui on va partager sa vie.

           Vers la gare saint-Lazare, ça descend tout seul.

Beaucoup de petites échoppes sont venues s’installer et préparent déjà  leurs tables pour le déjeuner, ça en fait des obstacles!

Au bout de la rue on tourne à gauche puis à droite, on déboule vers le chaos de la rue de Rome, Rome doit être une ville terriblement agitée!

Comme cela pue, par ici, mon maître me retient de mettre mon nez partout, j’aime bien les odeurs fortes.

Il a raison, ce n’est pas très propre, la pollution et les clochards qui dorment par terre, les sirènes de la Police, tout se brouille dans ma tête, pardon, je dois me concentrer!

Ah!, la voilà, je l’ai repérée, c’est son amie qui nous attend déjà et je remue la queue de plaisir, je l’aime bien aussi son amie ! 

  

4.

Nous arrivons devant le train, épreuve difficile entre toutes!

Je me souviens comme si c’était hier, mémoire de Prem’s!

Mon maître avançait derrière son amie, ma Maman et son petit Henri, je passais mes deux pattes de devant à l’intérieur de l’habitacle et soudain, oh c’est affreux, plus de maître!

J’ai senti qu’il avait tiré une dernière fois sur la laisse et puis rien, on ne le voyait plus, disparu mon maître chéri!

Sa copine, je ne vais pas vous faire un dessin avec mon museau, sa copine n’en croyait pas ses yeux: « Mais, où est-il passé? »; c’était à nice, je crois, enfin il faisait chaud, très chaud, et j’ai pensé qu’il avait fondu, soudainement fondu dans la fournaise, je n’avais jamais vu ça, foi de Prem’s.

Et puis, on l’a retrouvé, son amie et moi, il était descendu d’une hauteur sur la voie, passant sa jambe dans l’intervalle entre le quai et le train, quelle histoire!

Heureusement qu’ils ont le sens de l’humour, mes maîtres adorés, car on a eu peur, ils ont ri comme des enfants qui regardent un film comique à la télé; il est là, il n’est plus là!

Puis on l’a tiré, je ne sais comment il est revenu parmi nous, rien, pas une blessure, il est souple ce maître, et l’on s’est assis tous les quatre encore sous le choc, on s’en souviendra ont-ils crié en l’air, on s’en souviendra puis à nouveau des fous rires.

            C’est pourquoi, aujourd’hui, je fais très attention, tout le monde le regarde enjamber le trou fatal, qu’il n’aille pas s’y plonger une nouvelle fois, ce serait trop bête et de quoi j’aurai l’air, moi le chien-guide de Monsieur?

Tout s’est bien passé, sa copine est devenue maîtresse dans l’art de faire monter toute la petite famille en ordre, c’est elle qui a les billets dans la main et contrôle notre avancée, ça ne rigole pas!

Henri, Prem’s, il faut qu’on file doux, c’est normal, on est curieux mais on ne l’a ramène pas trop quand même, je dois indiquer les marches, me glisser dans le couloir et, une fois que mon maître est installé, me tenir tranquille.

Ici, Je veux dire dans les TGV français à deux étages, la place pour les chiens comme moi est congrue pour ne pas dire très insuffisante.

Je me colle de tout mon long aux sièges mais les voyageurs ont à peine la place pour passer; en plus, il y en a qui ont peur de moi, voyez-vous ça!

Il faut que mon maitre me rentre la tête, j’ai une grosse tête quand même et un beau museau de Labrador, oui, il faut que je me rentre à moitié entre ses genoux pour que ça passer les valises et les gens!

Bon, une fois tout le monde installé, je suis tranquille, les contrôleurs  me font de petites caresses et demandent mon âge, comme si c’était important l’âge, ils ne se doutent pas tout ce que je sais faire et qu’ils ne savent pas.

Le trajet n’est pas trop long, je ne compte pas, nous les chiens ou les chats, ça fait longtemps qu’on a arrêté de compter, on est un peu plus avancé que vous, les humains soi-dit en passant: quand on roule, on roule, quand c’est fini, c’est fini et on s’en va, pas fâché car il commençait à faire chaud, dans ce train et je n’aime pas l’exiguïté, j’ai un corps d’athlète malgré tout.

Le petit Henri, il a passé presque tout le voyage sous le siège de sa maîtresse, une dame pas sympa lui a fait comprendre qu’elle ne goûtait pas la présence des chiens dans le train, mal tombée la dame, comment on peut ne pas aimer le petit Henri?

Dehors, sur le quai de la gare d’arrivée, c’est déjà le paradis, on sent l’air de la mer à pleines narines, le pied!

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Tout le monde s’ébranle, les sacs à dos sont en place, je tire, je tire un peu d’émotion, c’est tellement bon la mer!

Nous découvrons une petite ville au bord de l’océan, des passants sympathiques et toujours ce vent frais qui fouette mes naseaux.

Mes maîtres son joyeux, tout s’est bien passé, on ri, on gambade entre les jardins et les trottoirs, on s’extasie devant les arbres en fleurs, je fais mes petits besoins sur des places prévues et recouvertes de copeaux de bois, vraiment une ville super ici, on reviendra?

            Au bord de la mer, ma maîtresse s’arrête devant les restaurant qui ont les pieds sur le sable, comme ça sent bon, je veux déjà descendre mais on me signifie que ce n’est pas encore l’heure, bientôt Prem’s, bientôt on va manger, je n’attends que ça, l’océan, ça me donne faim!

L’endroit où vous arrivons est superbe, un jardin, une grande chambre, je dormirai du côté de mon maître et Henri de l’autre, il l’aime trop sa maîtresse chérie!

Déjà nous sortons, on va courir sur la plage, rien de plus beau, les enfants se baignent encore, le soleil est chaud, le monde tourne à l’endroit, on s’amuse tout le temps.

Au pied de mon maître qui sirote un verre de je ne sais pas quoi, j’attrape quelques cacahuètes et je m’endors presque, comme il fait doux, ça valait vraiment la peine, Paris ne semble manquer à personne, Henri ronronne comme à son habitude, c’est à cause de son nez écrasé, mes maîtres?

Ils sont collés l’un à l’autre, c’est sûr ils ne vont pas se perdre ces deux-là!

            Comme tous les Labradors, je réfléchis beaucoup au sens des choses et du monde, à ma hauteur bien sûr, et je me dis qu’il en faut peu pour être heureux, je n’ai pas encore eu mes croquettes du soir, en ont-ils même emporté?

J’ai tout oublié, le bonheur de tous est communicatif, ici l’homme semble avoir oublié un peu de ses prétentions à tout gouverner, on se laisse juste porter par le bruit des vagues, on rêve, comme c’est bon!

5.

Le lendemain, tout était beau; ça m’a fait drôle de me réveiller dans la chambre d’hôtel, le corps collé contre le bois de lit de mon maître.

Où étais-je?

Ah oui, nous avions pris le train puis marché au bord de l’océan, quelle balade!

Mes petits parents chéris ne semblaient pas pressés de se lever, ça s’embrassait, ça se racontait des je-ne-sais-quoi, d’ailleurs je n’écoutais pas, ça ne me regarde pas.

Le petit Henri avait déjà commencé sa tournée d’inspection puis sa maîtresse l’avait fait monter sur le lit, privilège des petits chiens, je ne suis pas jaloux et qu’irais-je faire sur le lit avec mes quarante-trois kilos?

Je suis un grand, un très grand chien et puis c’est tout, un peu gamin tout de même mais c’est normal et je le resterai.

Ah tout de même, on bouge, c’est l’odeur du café qui les excite!

Ma maîtresse est très jolie et je suis un peu fier quand c’est elle qui me tient par la laisse, je la regarde avec mes grands yeux et ça la fait craquer, elle ne peut résister et elle m’embrasse sur la tête en la prenant dans ses mains fines, comme elle sent bon!

Mon maître pense que j’étais un homme avant, un beau garçon qui courait les filles, c’était dans une autre vie; maintenant, je peux juste les regarder et me faire caresser, c’est déjà beaucoup!

            La salle du petit-déjeuner est super, le buffet grandiose, je vais renifler mais on me rappelle à l’ordre: « Prem’s ici, tout de suite! »; je m’assois gentiment à côté de leur table et j’attends, je prépare mon regard le plus langoureux, le plus souffrant possible, ça marche à tous les coups.

Henri n’en rate pas une non plus, qu’est-ce qu’il ingurgite pour sa petite taille!

Mon maître se régale, ça fait plaisir à voir, les oeufs brouillés, le bacon, c’est ce que je préfère et ma maîtresse m’en glisse discrètement un morceau dans la gueule, mon maître ne s’aperçoit de rien.

Nous voilà rassasiés pour aller courir sur le sable!

            Ici, la vie semble douce, mes maîtres se tiennent par la taille et se font des bisous, nous, les deux compagnons, on gambade d’aise.

Les rues sont nettoyées, les passants tous sympas, ils demandent de nos nouvelles, d’où on vient, quel âge on a et l’on repart.

Après quelques marches, on arrive sur la plage: Liberté, liberté chérie!

Je cours comme un fou, je les regarde et je continue de courir, rien ne vaut le bord de la mer!

Après l’odeur des arbres en fleurs, c’est celle de l’écume et des coquillages qui jonchent le sable, des méduses que je ne connais pas, ça se mange? « Prem’s, pas les méduses, lâche-ça! »; Non, ça ne doit pas être très bon pour moi, tant pis, je m’en serai bien fait une, une petite méduse!

Enfin, on s’assoit, mes maîtres s’allongent sur le sable, je regarde l’horizon, je suis crevé d’avoir tant couru, il fait si beau!

Un peu plus loin, des groupes d’enfants s’amusent et crient, d’autres prennent le large sur de petits bateaux, derrière on fait la cuisine, ça sent la bonne viande grillée, peut-être irons-nous déjeuner là-bas?

Pour moi, le temps ne compte pas de la même façon que pour vous, je dors et puis me réveille, ça ne me dérange pas.

Pour vous, j’ai l’impression que c’est plus difficile à toujours regarder les téléphones!

En fait, je crois que vous ne savez pas très bien si c’est le temps qui passe ou si c’est nous qui sommes emportés par lui, je veux dire si nous passons dans un paysage fixe ou bien si c’est tout le décor qui bouge avec nous.

Moi, moi qui suis un chien, je sais bien que je vieillis plus vite que vous; à quatre ans, je suis déjà un beau jeune homme et ça me plaît, je suis resté assez longtemps petit chiot et que ferait mon maître avec un petit chiot qui fait pipi partout?

Chacun passe donc à son rythme et c’est douloureux, pour vous, de nous perdre après douze ou treize ans.

Comme je suis un chien-guide, je ne peux travailler que jusqu’à dix ou onze ans, après je prends ma retraite.

Si mon maître veut me garder, il doit avoir une maison avec un jardin mais ça, je suis rassuré, il l’a gardée en Normandie, c’était la maison de sa grand-mère.

De toute façon, il ne m’abandonnera jamais, sa maîtresse encore moins?

Le temps, finalement, il ne faut pas trop y penser et le vivre, tout simplement le vivre.

            On se secoue, chacun a du sable sur lui, moi j’en ai plein mes grosses pattes de lion!

Ils s’embrassent encore, qu’est-ce qu’ils sont sont amoureux ces deux-là!

Allez, on va déjeuner!

Derrière nous, le bruit des vagues nous accompagne, Henri est un peu fatigué, je croise un petit copain, on se dit bonjour, il a l’air sympa, il est tout fou!

Dans les rues, tout le monde nous regarde, Henri et moi devant qui ouvrons le passage; au marché, ma maîtresse achète quelques fruits, une nouvelle paire de lunettes de soleil pour mon maître, je le reconnais tout de même, à son odeur de maître!

On flâne, on flâne mais j’ai un peu faim, moi!

Ça y est, ils ont trouvé; un petit restau bien sympa, je m’allonge par terre et l’on m’apporte une gamelle d’eau, qu’est-ce que j’avais soif!

Le soleil domine toujours dans le ciel, le sol est un peu chaud, on entend beaucoup d’oiseaux ici, on se croirait ailleurs et l’air est si pur!

Pour tout vous dire, je n’ai plus l’impression d’être au travail.

6.

Souvent, le soir, nous sortons; oui, c’est une nouvelle mode depuis qu’il a sa copine, mon maître aime bien sortir. En fait, je le soupçonne d’être déjà beaucoup sorti dans sa jeunesse et de recommencer, comme cela, progressivement, sans rien dire, alors qu’il ne voit plus, c’est ce que je crois. Comment sais-je qu’il ne voit plus?  Simple, il demande toujours le nom de mes petits copains chiens à leur maître quand nous les croisons alors que je les ai reconnus depuis longtemps! C’est moi, au parc, qui le mène aux bons endroits, dans les allées vertes au milieu des fourrés; lui, il se perd, il me pose toujours la même question: « Et maintenant, Prem’s, où on est, hein? Tu es malin, tu es perdu! ». Je ne dis rien et lui lance un grand sourire. Perdu, moi, dans le parc? Je le balade, c’est tout, et il ne faut pas qu’il se plaigne, je lui fais rencontrer plein de gens différents, surtout avec des chiens c’est vrai. J’aime bien dire bonjour à mes compatriotes du parc, je suis connu maintenant, et tout le monde nous aime bien, on nous salue ou on nous ignore, c’est égal. J’ai même la cote avec les jardinier, ils disent que je suis le seul à pouvoir aller partout, pour me détendre, ils disent aussi que je travaille beaucoup et que c’est normal, je suis le seul chien d’ici qui travaille en fait! Ah non, il y a aussi Missy, une mignonne chienne qui accompagne un jeune homme, je crois qu’il est un peu malade car il parle avec quelques difficultés. Missy, comme moi, porte un petit manteau orange sur le dos qui signale qu’elle est une chienne-guide pour une personne malade. Son maître et le mien aiment se parler, ils échangent et Missy est dressée pour aboyer avant les crises de son maître, c’est une chienne super et très intelligente.

            Hier soir, nous sommes allés fêter l’anniversaire d’une amie, je crois que c’était un anniversaire car tout le monde était joyeux. Pour la première fois, mes maîtres m’ont fait confiance et m’ont laissé libre dans le grand appartement, vous pensez comme j’étais joyeux. Eux, mes maîtres, ils m’avaient complètement oublié, ils mangeaient, ils buvaient et dansaient, parfois ils s’éclipsaient sur un balcon pour s’embrasser, enfin c’est comme s’il n’avaient plus de chien! Heureusement, le maître de maison  m’a pris en affection et lorsque je suis arrivé au bord du buffet, et quel buffet!, il m’a donné de petites choses à grignoter, des raisins et un peu de fromage, le pied! Ce que j’ai surtout apprécié, c’est de pouvoir aller d’une pièce à l’autre comme tout le monde, je faisais partie de la fête et chacun qui le voulait m’adressait un petit »Bonjour Prem’s! »  Qui me faisait chaud au coeur, j’étais de la famille! En fait, moi aussi, c’est comme si je retrouvais de vieilles habitude de danseur mondain, c’est ce que mon maître pense, que dans une autre vie j’avais été un sacré numéro, je ne sais pas très bien ce qu’il entend par là, enfin je me suis comporté en vrai gentleman: pas une bêtise, pas un verre renversé ni un bout de jambon mangé sans qu’on me le propose, la classe quoi! Ma maîtresse, sur la fin, m’a fait un peu dansé sur mes pattes arrière, j’ai perdu de ma souplesse d’antan mais je me défends, elle a dit, et comme je suis grand quand je me lève! En un mot, c’était super, cette petite soirée et nous avons été triste de la quitter, j’aurai bien repris un petit bout de Camembert, il en restait encore beaucoup!

Je n’ai pas de puces mais je vais aux Puces

7 .

Aux Puces, on se gratte! Mais je n’ai pas de puces, c’est pour rire; mes maîtres sont joyeux et ce dimanche, je ne sais pourquoi, on prend la voiture et on va aux Puces de Saint-Ouen. Ah si, avant on fait un détour par un grand parc où reposent de longues pierres avec des croix, c’est joli mais très silencieux. Mon maître me lâche et je gambade sur les allées, tout le monde parle bas, on dirait un jardin oublié, si différent de mon parc habituel avec ses enfants qui courent partout. Au milieu des grands arbres, ils se recueillent tous les deux. Après, on cherche un parking sous terre, brrr! Je n’aime pas beaucoup ça, et enfin on remonte à l’air frais! Il fait beau, je renifle toutes les vieilles choses, il y en a partout, des chaises et des armoires, ensuite des fringues de tous les genres et enfin un petit bistrot, on va manger? Entre les stands, j’essaye de me faufiler, ils s’assoient sur un canapé sans même me demander s’il me plairait, où ont-ils la tête? Moi aussi, je dois pouvoir m’y installer pour regarder la télé; c’est vrai, mon maître n’a pas de télé, qu’est-ce qu’il en ferait, d’une télé à images? Je trouve que c’est amusant, de regarder des images à la télé, surtout les animaux, les gros éléphants, je n’en ai encore jamais vu en vrai, des éléphants!

            Ici les gens sont agités, surtout les vendeurs, il  interpellent tout le monde sur leur passage: « Allez, tout à 5 euros, il faut que ça parte, il faut que ça parte! ». Je crois que c’est trop petit pour mon maître, il est si grand, comme moi, mais à moi on n’achète pas de T-Shirt, dommage, ça m’irait bien un petit T-Shirt bleu clair sur ma robe fauve. On passe à nouveau devant les canapés, ils ne sont pas décidés, ils ont raison, ça sentait un peu la poussière par-là, alors en plus de mes poils! Je crois qu’il en ont vu assez et l’on se dirige vers une terrasse; bientôt deux beaux couscous sont sur la table, celui de mon maître m’intéresse plus car il a une brochette de viande grillée posée sur la semoule qui me semble appétissante, c’est sa copine qui a choisi. Elle, par contre, que des légumes, pas drôle du tout. Il fait bon, je m’allonge sur le trottoir, je prends de la place je sais et les passants gueulent un peu. Alors, bonne bête que je suis, je me mets sur mes pattes et je me lève pour les faire passer. Pour le dessert ils ont commandé une tarte aux abricots à se partager, les amoureux des Puces aiment bien tout partager, surtout les tartes aux abricots; ma maîtresse me fait goûter un peu de la croûte, comme elle est bonne, mais un si petit morceau, pourquoi? Enfin on repart. Cette fois-ci, on retrouve vite la voiture et l’on se faufile dans la circulation sans problème. Hier encore, ça bardait, il y avait du remue-ménage dans les rues, des sirènes qui hurlaient partout. A la maison, on se repose, des journées comme celle-là où l’on marche tout le temps c’est fatigant même pour un Prem’s comme moi.

Journal de Prem’s 8.

C’est fait, je suis opéré, je suis l’opéré de son maître, moi le beau chien Labrador; vous voyez sur les photos quelle gueule j’ai avec mon abat-jour autour de la tête, tout cela pour que je ne me gratte pas l’oeil! Mais, à quoi je ressemble maintenant avec cette collerette que même un François Ier aurait rejeté avec raison, lui qui pourtant les portait si bien? Revenons à l’opération: je n’ai rien senti. J’étais allé confiant, avec ma maîtresse et mon maître chez cette doctoresse vétérinaire, je reconnaissais bien le chemin; il faisait froid, nous revenions jute de vacances à la montagne, des vacances géniales où j’avais pu courir dans les prés enneigés! Et voilà, Paris de retour et le chemin vers le vétérinaire, pas drôle, pas drôle du tout, je le reconnaissais bien, mais je vous l’ai déjà dit, c’était dur. On m’accueillit avec beaucoup d’amabilité, pas tous les jours qu’on opère un chien qui travaille, je veux dire qui guide si bien son maître dans les rues de Paris; donc on fit très attention; tout de suite j’entrais dans la salle, il faisait bon et ça sentait le frais, comment dire, le propre, j’avais envie de m’allonger. Ensuite? J’ai tout oublié, bien sûr; on m’a fait une première piqûre pour me calmer un peu, puis on m’a passé un tube dans la gueule et je me suis endormi. Ce que l’on m’a réellement fait? Il faut le demander à mes maîtres, ce sont eux qui ont écouté la médecin-chef, très sûre d’elle et parfaite. Il semble qu’on m’ait ouvert un peu l’oeil gauche pour aspirer trois petites bulles qui s’étaient formées et dansaient devant moi, ça me gênait un peu, enfin il fallait le faire pour mon confort et aussi pour bien guider mon maître, c’est mon boulot!

Voilà, je me suis retrouvé à marché avec ce truc autour de la tête, je me cogne partout et surtout je ne peux plus renifler, vous vous rendez compte, comment trouver sa place pour faire ses petits besoins si on ne peut plus sentir le bitume? Impossible! Et pourtant, j’ai dû apprendre, c’est ma maîtresse qui m’a appris, mon maître était complètement perdu, en plus je ne pouvais plus lui servir de guide. Nous sommes repartis avec un gros paquet de médicament, des gouttes, des pommades et des cachets, un vrai malade imaginaire, ne manquaient que les lavements mais ça, heureusement, on ne m’en a pas prescrit; à la maison, c’était un peu la pagaille, il a fallu s’organiser, qui faisait quoi? Pendant quelques jour, ma maîtresse est gentiment passée trois ou quatre fois par jour pour les gouttes et les autres soins, d’autres amis l’ont relayée un peu mais ça devenait compliqué; mon maître a alors appelé mon Ecole, ils ont réservé une famille d’accueil mais ça ne collait toujours pas, trop loin et pas assez sûr, j’étais décidément trop fragile, oui, je suis devenu un Prem’s ultra sensible: pas de rencontres avec d’autres chiens, pas de jardin, pas de balade dans les bois, rien, le juste nécessaire et cela pendant deux ou trois semaines. Finalement, c’est ma maîtresse qui m’a pris chez elle avec son petit Henri, il est si brave et tranquille, pas de risque! Très tôt le matin, elle me promène et ensuite elle m’emmène au bureau ou faire ses courses, une autre vie pleine de surprises; tout ce temps, je ne travaille plus, mon maître dit que je suis en convalescence, enfin ce n’est pas le paradis, j’aimerais mieux ne plus avoir ce machin autour de la tête ni toutes ces gouttes dans les yeux; en plus, je ne peux plus courir et je sens que je me rouille, ma maîtresse dit que j’ai maigri, la vie d’un malade, c’est gai!

Cet après-midi, je retourne chez le médecin, nous verrons les progrès et c’est elle qui dira quand je pourrai à nouveau gambader librement, c’est fou comme c’est bon la liberté!