Mes livres déjà parus


Les Miroirs

Roman d’aventures et de mystères, Les Miroirs nous conte l’histoire d’une visite imaginaire, celle du poète américain Charles Bukowski revenu à Paris pour instruire le narrateur sur la magie cachée de la vie. Ensemble, ils vont parcourir les rues d’une ville désenchantée, accompagnés par Mireille, une jeune étudiante chinoise malicieuse et enjouée. De lectures publiques en errances nocturnes, c’est tout le merveilleux qui prend corps peu à peu dans ces pages, animé par la musique des mots et de l’opéra. Transformé par cette expérience, le narrateur sent bientôt poindre en lui des émotions nouvelles qui l’amènent à se souvenir d’un premier amour d’enfance. Mêlant les temps et les lieux, il découvrira ainsi tous les personnages qui habitent sa mémoire et se répondent dans ce jeu de miroirs.

Edité par L’ Harmattan. Apparu en 2007.

A la maison

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Valentin


Valentin

QUELQUES EXTRAITS
chap 11 :

Ce matin, Valentin est un peu inquiet : déjà neuf heures et le peintre n’est toujours pas en vue, enfin il n’a pas encore sonné à sa porte. C’est un peintre en bâtiment, nous précise Valentin, car de tableaux, de portraits de lui-même, il n’a plus besoin ni assez de moyens pour s’en offrir et qui les regarderait? Par contre, certains de ses amis, les plus observateurs, venus lui rendre visite après la rénovation du toit de l’immeuble, lui ont fait comprendre que son plafond avait besoin d’un sérieux coup de peinture: Des fuites, il y avait sûrement eu des fuites pendant la durée des travaux, il avait en effet beaucoup plu en novembre dernier et de larges tâches étaient apparues à la surface du plâtre blanc. Sur leur conseil, il avait demandé réparation. Est-ce parce qu’on le savait aveugle ou bien à cause d’autres facteurs épidémiques? Le couvreur, malgré ses relances, n’avait pas répondu. Valentin, un peu vexé, s’était alors tourné vers le syndic des copropriétaires et là, surprise, il avait été entendu? On allait venir: un peintre, oui, le petit peintre dont on lui avait parlé, qu’il ne s’en fasse pas, on pensait à lui! On s’inquiétait donc d’un pauvre aveugle, Avait-il marmonné en lui-même? Mais, à la réflexion, il eu bientôt honte pour lui et tous ses semblables de s’être affublé d’un tel sobriquet. Aveugle, ça suffit, oui, ça lui suffit amplement à Valentin, n’en rajoutons pas! D’ailleurs, qui s’en soucie? Lorsqu’il est seul chez lui, qui d’autres que ces bons vieux meubles, sa tasse anglaise et le vis-à-vis des toits ardoisés pour lui faire remarquer? Eux, ses vrais amis, ils ne disent rien, ils s’en moquent. Que Valentin les renverse ou les ignore, ils resteront à jamais indifférents, posant leur présence avec la plus parfaite gratuité de choses, divine et matérielle à la fois: elles sont là, se rassure Valentin, elles sont bien là et m’entourent, le reste est dérisoire.

L’autre question de poids, et pour li aussi importante que, pour le Président de sa Grande Nation, la façon dont il va pouvoir relancer son économie tout en limitant sa dette publique sans oublier les contingences climatiques et sociales, l’autre interrogation naturelle qui viendrait à l’esprit de tout lecteur rationnel serait un peu celle-ci: « A quoi sert, pour un aveugle, de faire repeindre son plafond en blanc? ». Cette question est pertinente, et Valentin se la pose aussi sans bien pouvoir y répondre. Est-ce pour ses amis, pour l’amour des choses bien faites, par respect instinctif de l’Ordre naturel, ordre qui implique que, en ce début de Vingt-et-unième siècle, la majorité des plafonds, dans son quartier de la rue de Monceau, se doivent d’être impeccablement blancs? Mais une partie en lui, une partie de son intellect régit par les sens, cette partie-là justement qui ne voit plus, la folle révoltée, la rêveuse acharnée, elle s’en fout royalement de savoir que son plafond n’est plus aux normes du bon goût parisien: Eh, qu’ils aillent se faire…! Mais Valentin n’aime pas trop les grossièretés, enfin il les pensent mais ne les sort pas volontiers, c’est son éducation voilà tout. Et ce problème l’obséda, jour et nuit, car il lui rappelait sa différence sur le public normal tout en soulignant son manque de courage, celui qui lui aurait fait opter pour une solution digne de sa nouvelle condition: « Les taches sur mon plafond? Je ne les vois pas, donc Elles n’existent pas! »;

Perdu en ces contradictions, il s’en ouvrit au téléphone à Lisa, une ancienne copine: Qu’il ne s’inquiète pas, elle viendrait lui rendre visite accompagnée de quelques bonnes pâtisseries marocaines, son pays d’origine.

C’est vrai, lui confia-t-elle en entrant dans la pièce principale, cela fait un peu moche, mais si tu ne me l’avais pas dit…

Voilà justement la question fort bien amenée, chère amie, je peux te dire chère amie de coeur?

Tu le peux, Valentin!

Alors poursuivons; selon tes arguments, la vision même des taches sur le plafond ne frappe pas le visiteur normal, je veux dire celui qui a deux yeux bien en place

C’est cela même, mon ami

Et il faut que je te le pointe du doigt pour que tu le constates

Exactement

Mais si, admettons qu’il fasse un peu sombre ce jour-là, je laisse entrer un visiteur sans jamais le conduire à observer le plafond, il est fort possible qu’il ne se doute de rien et reparte sans même avoir noté cette particularité au-dessus de sa tête

Tu dis vrai, Valentin

et pourtant, au début de notre entretien, c’est toi-même, Lisa, qui a mentionné que « cela faisait un peu moche ! », n’est-ce pas

Oui, je l’ai dit

Et donc tu es prête à accepter que ce que l’on ne voit pas, sauf à y être invité par une personne qui le sait déjà, fait moche, donc ce que les yeux n’ont pas aperçus est cependant sensible à la conscience?

Oh, Valentin, tu me troubles, tu ne veux pas goûter mes pâtisseries, elles dégoulinent, dépêche-toi!

Comment saurais-je qu’il y a des pâtisseries marocaines devant moi puisque je ne les vois pas?

Parce que tu vas les manger, idiot chéri! D’ailleurs, c’est où tes assiettes?

Tu veux dire où sont rangées mes assiettes?

Valentin, comme tu peux être pénible!

Dans le placard de droite, premier niveau, les petites sont sur la gauche

Ils sont tous maniaques comme toi les aveugles?

Il faut être bien organisé, surtout dans sa tête, sinon la vie est impossible

Finalement, tu n’as pas changé depuis les classes prépa, qu’est-ce qu’on s’est amusé bon sang!

Oui, mais on a raté tous les concours!

Tu voulais vraiment entrer à Normale, toi? Devenir prof?

Non, pas exactement, et puis j’en étais incapable; toi, ma foi, tu as bien tourné en devenant chanteuse de blues

Je ne chante pas que du blues, Valentin, je vais t’envoyer mon dernier CD, tu verras, il y a aussi du rap, oui, un peu de rap chelou avec des rythmes orientaux

Ça me semble parfait, en effet, après une bonne symphonie de Bruckner, en guise de délassement

Mais la musique, Valentin, c’est pour le plaisir, pour le fun, pour danser! Attention, le miel coule partout!

(Valentin se met à lécher ses doigts un par un puis les essuie à sa serviette)

Et si l’on revenait à mon plafond, je dois conclure mon syllogisme rationnel; quelles en étaient les prémices?

Tu parlais des taches, oui, des taches sur ton plafond…

Des taches?

Des marques enfin, elles se voient! Pardon, elles se voient pour quelqu’un qui voit, bien sûr; ça doit être terriblement dur, non?

Non, ce qui est plus difficile est de savoir où je dois me ranger, dans le camp des sensitifs ou dans celui des intellectuels purs, je veux dire à qui dois-je le plus faire confiance?

A tes sens, gros malin, à ton coeur d’artichaut, d’ailleurs tu tombes toujours aussi facilement amoureux?

Oui, oui et non, la vue me manque pour aimer

Pour désirer, tu crois?

Pourquoi aimerait-il, c’est un peu pareil que de dire: Pourquoi ferait-il repeindre son plafond?

Je ne pense pas, le plafond ne peut t’envoyer de réponse; tu dois considérer, avec Averroès, que ton intellect n’est pas distinct des autres, tout communique

Et mon plafond, il ne m’aime pas?

Si, il t’aime à la manière d’un plafond, assez platement, froidement, et toi, tu préférais les chaudes si je ne me trompe pas?

J’aimais bien les marocaines, en effet, mais…

Je sortais déjà avec Karim, tu le sais bien

Oui, la seule belle fille de la classe prépa était déjà prise, alors j’ai fermé mes yeux

Tu exagères! Tu voyais encore très bien lorsqu’on s’est connu

Tu n’as pas changé?

Pas tellement, tu veux toucher?

Non, j’ai les mains qui collent et je le sens, oui, je le sens très bien, nous n’avons pas changé ni l’un ni l’autre

On suit le mouvement, c’est normal Valentin, on suit le mouvement.

Chapitre 13 :

Ce qui est vrai, se dit Valentin en s’asseyant comme tous les matins dans son fauteuil de réflexion, fauteuil qu’on a pris soin d’installer afin qu’il puisse justement y réfléchir sur sa nouvelle condition tout le jour et même le soir venu, ce qui est vrai, c’est que je ne vois plus. Pourtant, à bien retourner cette affirmation dans tous les sens, assis sur son séant, Valentin en sent les limites, la platitude et même la fragilité. Car en effet, se répète-t-il en esquissant un mouvement du buste pour se redresser sur lui-même, ce que je ne vois plus c’est toujours quelque chose de tangible et donc je devrais dire: je vois, mais je ne vois plus la même chose qu’avant, les êtres et les choses m’apparaissent désormais comme engloutis dans un tunnel sans lumière de secours, mais ils sont bien là. Ce que je vois, c’est autre chose, et surtout c’est autrement que les autres car eux pourront me dire la couleur de mon pull, si elle s’accorde avec celle du pantalon, mais quelle importance puisque j’aime les mélanges colorés, ou la teneur d’une lettre de relance des Finances publiques, ce dont je me passe volontiers par la nullité de son à-propos envers moi: je ne sais plus lire, un point c’est tout! En un mot, Valentin est heureux; flamboyant de bonheur, il se lève pour se préparer un thé, choisissant ce matin un cru japonais parmi les plus subtils. La simple différence est donc celle-ci ajoute-t-il à notre attention: je continue à voir mais d’une autre façon, avec des yeux particuliers qui se moquent des détails et de la résonance des ondes lumineuses, le soleil ne sert qu’à me chauffer les fesses et c’est bien ainsi, qu’il fasse son boulot!

Le reste, ma foi, Valentin s’en passe et qui démêlera le vrai du faux? Si vous lui dites que là se trouve son canapé, celui-là même hérité de ses parents et qu’il avait eu soin de faire recouvrir, se rappelant avec dégoût le méchant tissus de velours verdâtre qui l’habillait durant son enfance, alors il vous croira et, se fixant sur votre voix et sa provenance, il ira s’assoir dessus pour vous montrer sa bonne volonté. Sans vous, qu’aurait-il fait? Il serait allé d’un pas nonchalant, hésitant peut-être, tournant par habitude un peu sur la gauche, et il l’aurait retrouvé avec la main, touchant en premier l’accoudoir de bois à col de cygne. Tout aussi bien, il se serait assis et, à moins de vous être installé en secret au préalable, il aurait pris sa place sans encombre, sinon sur vos genoux ou sur ceux d’une jolie fille ce qui lui aurait aussi plu mais peut-être moins à elle, la susdite jeune fille placée à son insu pour le mettre à l’épreuve; souvent, le saviez-vous, Valentin fait exprès de tomber dans les traquenards, il aime à passer pour plus imbécile qu’il n’est, et cela même si son imbécilité est patente, nous en convenons volontiers, mais il en rajoute, il en devient presque bête, obsédant et charmeur, un vrai Valentin en quelque sorte!

C’est ici l’occasion de revenir à la vérité; Valentin y pense justement en lisant un petit mot de sa nièce l’incitant à écouter un reportage sur lui, enfin sur son semblable, elle voulait dire Jesus, car tous deux étaient simples inspirés, nés autour d’un équinoxe d’hiver à quelques années d’intervalle. Il se rappelle, à ce sujet, le scandale qu’avait produit le livre de Renan au siècle passé et ces nouveaux prospecteurs de vérité, allant sur les lieux, consultant les registres et les archives, fouillant le sol pierreux de la Galilée, tout cela ne l’intéresse pas vraiment. Tout comme lui, Jesus est né, peut-être un peu avant, peut-être Quelques jours après le 25 décembre, lui au moins possède toujours son acte de naissance de la maternité de l’Hôpital Saint-Antoine daté du 1er janvier, et l’heure aussi, 18 heures 10 bien que sa mère lui soutînt mordicus que c’était le matin, qui croire si sa propre mère se met à douter? La vérité, pour Valentin, est tout autre et, à moins d’avoir été celui que Jesus guérit miraculeusement de la cécité, il ne l’aurait pas vu, ce prophète comme tous les autres prophètes qui se promenaient en ces lieux saints à la même époque et que l’histoire n’a pas retenus. Lui, personne ne s’en souviendrait, n’étaient ses amis qui, quelques années encore, entendraient résonner en eux la voix de l’aveugle, se rappelleraient son allure et ses mimiques. De Jesus, nous n’avions pas non plus beaucoup de descriptions physiques, juste sa parole recueillie en des esprits, en des mémoires vivantes, jamais enregistrée ni captée sur un smartphone. Pouvait-on se fier à tous ces gens? Valentin nous dit qu’il voit, qu’il voit différemment de nous, mais qu’il voit, pouvons-nous lui accorder notre crédit? Je suis dans un autre monde, ajoute-t-il, voilà tout, et Jesus lui aussi était dans un autre monde, un peu là, un peu au ciel, il a fait des aller-retour; moi, je suis descendu, je ne sais pas où mais je suis descendu car, à en juger par ma raison, mais elle peut s’égarer, si j’étais monté ce serait plus clair, au moins au début. Pour la suite, nous savons que l’espace, en dehors des astres qui brûlent et dégagent de la lumière, est sombre, bien plus que sombre, l’espace est noir et regorge de trous du même nom. Quant à la matière noire, Valentin ne veut même pas en parler, il la connaît trop bien, elle l’entoure de partout et c’est devenue une amie, une douce compagne.

Pour se résumer, si nous ne savons toujours pas si le vrai Jesus a existé avec certitude, nous pouvons affirmer cependant que, comme d’un Valentin né à l’Hôpital Saint-Antoine de Paris

dans le douzième arrondissement, qu’un Jesus est bien né à Béthléem peu ou prou un jour de décembre, et l’on sait qu’il y faisait froid comme à Paris où le père de Valentin faisait les cents pas rue Saint-Antoine justement. Joseph, lui, plus conventionnellement, donnait du fourrage à l’âne et au boeuf afin qu’ils soufflent un peu de chaleur dans l’étable. Pour la mère de Valentin, même si cela fut douloureux, elle était bien entourée et soignée: Valentin a donc bien été mis au monde et, se dit-il avec un certain orgueil, cela est ma première vérité. Ensuite, comme in ne peut plus lire son acte de naissance, il doit loger en sa petite caboche de Valentin qu’il est bien né d’une mère et d’un père et que cela se passa à Paris. Jesus, on le sait, n’avait pas eu besoin de toutes ces preuves car, outre que les services d’enregistrement n’existaient pas encore, sa naissance était programmée, inscrite sur les livres et il n’aura eu qu’à se documenter un peu pour la retrouver, son existence était déjà faite. Valentin, notre Valentin lui souffre un peu d’incertitude, toujours obligé de se raccrocher à des on-dits, des affirmations péremptoires de ses amis et proches, des voix synthétiques comme celle d’Audrey qui sort de son téléphone :

Valentin, lui dit-elle sur un ton monocorde, Valentin, c’est bientôt l’heure, l’heure de te faire à manger ou plutôt de te faire réchauffer un bon plat qu’une âme charitable a bien voulu déposer sur la plaque électrique pour ton déjeuner, ou bien de prendre ton téléphone justement pour te commander au café du coin un repas tout prêt, une joue de porc braisée avec une purée faite maison, pas dans la tienne mais juste en face, ou bien un plat vietnamien de l’autre café un peu plus loin, mais là il faudra aller le chercher, quelle plaie!

L’heure, le temps et les matières ont tout envahi, l’espace est rempli à tel point qu’il suffoque, Valentin a du mal à respirer, ce trou noir est sans fin et c’est le monde! Souvent, par amitié ou amour des correspondances, il s’adresse à l’autre Jesus, celui né bien avant lui, et lui demande comment ce sera en haut, s’il fera aussi noir et qui veillera sur la lumière céleste? Les hommes sont fourbes et retors, il vantent leur mérite de domestiquer l’électricité, de vous accorder des tarifs toujours préférentiels, de changer le nucléaire en éolien ou en solaire et puis voilà, tout s’éteint, comme cela, sans raison, sur qui s’appuyer? Les apôtres ont depuis longtemps disparu, ceux qui annonçaient la bonne nouvelle; ne circulent maintenant que les chantres du désespoir, les mauvais éteignoirs de rêves: tout va s’effondrer, tout court au magnum collapsus! Mais non, Valentin le dit et le répète, toute la matière est là et les corps se meuvent normalement, toute la densité des émotions réside encore au bout de nos doigts et si le spectacle a vécu, se dit Valentin, il n’en reste pas moins le souvenir dans mon coeur: C’était beau, la Terre, que c’était beau!